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mardi 26 juin 2007

La logique de l’Etat turc : une logique sans cesse nourrie de paradoxes.


La République turque, née sur les cendres de l’Empire ottoman, a parcouru un long chemin de modernisation qui mérite d’être salué. Ce processus pourrait être renforcé par l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, cependant de nombreux pays européens ou du moins, leurs gouvernements s’opposent à son entrée.
Les Turcs ne soutiennent pas tous un tel projet, il existe des raisons idéologiques, religieuses ou encore culturelles. Quant aux Kurdes de Turquie, le soutien est quasiment unanime, ce qui signifie que le peuple kurde considère l’Union européenne comme le seul acteur pouvant donner à la Turquie une nouvelle logique, celle qui serait basée sur le consensus.
Depuis la création de l’Etat turc, les politiques mises en œuvre on été guidées par la peur de l’ennemi de l’intérieur. Cette obsession de configurer ses politiques étatiques en fonction de cet « ennemi invisible » a donné lieu à une logique de contradictions, discréditant souvent sa raison d’être.

Comment expliquer cette logique qui doit disparaître ?

Avant et lors de la création de la République turque, les dirigeants, en particulier Mustafa Kemal, ont préféré concevoir la nation turque en se basant sur une partie de la partie de la population vivant sur le territoire actuel, nommé la Turquie. Il s’agissait de créer une nation « exclusive ».
Force est de constater que la construction de cette nation n’a pas été réalisée sur des bases solides. La situation actuelle met parfaitement en évidence ce constat. Les revendications des minorités en Turquie illustrent les carences de cette construction inachevée.

Refus de prendre en compte l’ensemble de la population pour concevoir la nation

L’idée de base était en réalité de recréer la nation turque comme à l’époque mythique et glorieuse des premiers Turcs. L’analyse de Hamit Bozarslan lors d’un séminaire à Sciences po Paris montre très bien comment la République s’est créée et comment le nationalisme qui existe en Turquie tente de la maintenir. Selon l’auteur, les nationalistes turcs considèrent que la nation turque est atteinte par la corruption (impureté) du fait même de l’existence de l’ennemi ou du traître de l’intérieur. D’ailleurs, les quotidiens turcs tels que Hürriyet ne cessent d’utiliser un champ lexical qui souligne l’existence du traître constituant une véritable menace pour la nation.
Faire partie de la nation turque est considéré comme un privilège, voire l’accès au bonheur comme en témoigne l’expression qui dit « Heureux celui qui se déclare Turc ». Cependant la réalité est toute autre. Sans tomber dans l’exagération, l’Etat turc est loin de promettre le bonheur à ses citoyens comme le montre par exemple le traitement qui leur est réservés dans les ambassades (longue file d’attente, fonctionnaires arrogants…).
La conception kémaliste de la nation « exclusive » est enseignée aux enfants dès l’éducation primaire. Ceux qui ne sont pas nés de sang turc, ils doivent renier aussitôt leur identité d’origine pour avoir le privilège et le droit d’intégrer la nation qui leur promet le bonheur. Bien entendu, cette volonté de faire partie de la nation « exclusive » est accompagnée d’une politique d’assimilation dont l’objectif est permettre aux minorités d’abandonner leurs différences pour finalement obtenir le statut de citoyen de seconde classe.

Une conception de la nation qui n’est plus pertinente
La Turquie ne peut plus raisonner dans un cadre restreint, il est temps d’avoir le courage de mettre en place des réformes dont l’objectif n’est pas de déstabiliser la Turquie ou de la détruire mais tout simplement de la consolider en achevant la construction de la nation en prenant en considération la réalité mondiale.
L’Europe a été à l’origine de la création de l’Etat-nation et elle tente aujourd’hui de trouver de nouvelles solutions susceptibles de résoudre les problèmes liés à l’affaiblissement de l’Etat-nation. Si l’Europe a su avancer et se développer, c’est parce qu’elle n’a jamais eu peur de découvrir l’inconnu. Les Européens ont toujours eu le courage de s’affirmer et de briser les tabous sur les plans politique, économique, religieux… Le progrès a un prix et il ne faut pas hésiter à le payer.
La nation turque connaît ses limites depuis longtemps, néanmoins la lutte armée initiée par le PKK dans les années 80 et l’intensification de la lutte dans les années 90 et enfin les revendications souvent pacifiques des Kurdes à travers des partis ou syndicats pro kurdes soulignent la nécessité urgente d’apporter des réponses concrètes aux attentes de la population qui ne fait pas partie de la nation de Turquie.
Le culte voué au Kémalisme doit être abandonné si la Turquie souhaite surmonter ses difficultés. Autrement, le risque de voir le pays se diviser et de déboucher sur une crise de gestion de plus en plus profonde pourrait certainement voir le jour à l’avenir.
Certes, Mustafa Kemal est le principal fondateur de la Turquie moderne, néanmoins le fait de l’élever comme la figure suprême de la nation ne fait que mettre la Turquie dans une situation de blocage. Atatürk aurait certainement préféré que les Turcs soient capables d’être innovateurs comme il l’a été à son époque.
La Turquie doit à tout prix rénover sa conception de la nation et ce ne serait pas considéré comme une trahison à la pensée kémaliste. Au contraire, ce serait rendre hommage à l’esprit kémaliste de la meilleure manière possible.

Feqîye Teyran

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